Lorsque l’on se balade à Shanghai au début, on a une drôle d’impression : les grandes artères qui permettent d’aller d’un point à un autre semblent manquer de vie, regroupant seulement les gens qui comme vous vont d’un point à un autre. Mais où sont ceux qui vivent à Shanghai, les vrais habitants quoi ?
Et bien pour les trouver, il faut s’aventurer un peu. S’aventurer derrière les grands portails qui semblent gardés, à grand renfort d’uniformes. Mais en fait ce n’est pas trop l’aventure, les gardiens ne gardent pas grand chose, et le seul problème que l’on peut rencontrer est de ne pas pouvoir ressortir par où l’on veut de l’autre côté. Ces quartiers « privés » (ou plutôt réservés de fait aux habitants, car ils n’ont pas assez d’entrées/sorties pour servir de passage aux autres) ont une caractéristique particulière, ici à Shanghai…
Un métissage d’influences
Nous avons vu (là) que Shanghai est cosmopolite, grâce à sa colonisation par les puissances étrangères (sic). En 1854, suite à des révoltes ayant réduit à néant une grande partie de la ville (hors concessions heureusement ;)), le gouvernement chinois demande aux européens fraîchement installés de reconstruire rapidement des habitations dans Shanghai : ceux-ci acceptent avec plaisir, ravi de pouvoir asseoir leur influence dans la ville. Ils se mettent alors à construire des quartiers entiers, de but en blanc. Ils choisissent pour cela les méthodes qu’ils connaissent pour les règles d’urbanisation, mais préservent le style des habitations chinoises ainsi que leurs modes de constructions. Ainsi sont nés les Lilongs, quartiers typiques de Shanghai !
Évolutions au cours des périodes
Les lilongs ont été construits de 1850 jusqu’à 1949. Sur cette période, ils ont gardé certaines caractéristiques, tandis que d’autres se sont naturellement adaptées au développement de la ville.
Ce qui n’a pas changé pendant tout ce temps est l’organisation globale du quartier, en arêtes de poisson : une artère centrale nord/sud, et de nombreuses ramifications est/ouest. Les maisons sont alignées le long de ces nombreuses impasses, avec les ouvertures vers le sud, face au soleil et tournant le dos à l’ennemi, d’après les principes du Feng Shui entre autres.
Les maisons ont quant à elles pas mal changé pour s’adapter à la demande, aux bourses ou aux pressions démographiques. Voyons les différents shikumens (noms ces maisons, et non ce n’est pas japonais !) parmi ceux qui sont encore visibles à l’heure actuelle. Pour info, ces quartiers ne représentent aujourd’hui plus que 10 à 15% de la surface de la ville même. Ils sont donc un peu en voie d’extinction, même si certains sont classés et/ou rénovés.
Old style – 1870-1940Les plus anciennes shikumens existantes (celles d’avant, en bois, ont été interdites, suite à de petits problèmes qui expliquent leurs disparitions). Composées de trois pièces autour d’un cour centrale, et d’un étage, elles sont construites en brique avec une structure et des charpentes traditionnelles en bois.
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Smaller Style – 1910-1940Quasi-identiques aux old style, en plus petites : plus que deux pièces, permettant d’augmenter un peu la densité des quartiers. Correspond à l’arrivée de classes moyennes et modestes à Shanghai suite à la chute de la dynastie Qing. |
New Style – 1920-1940Constructions encore plus denses, avec jusqu’à trois niveaux, et sans cour intérieure. Constitue le gros de la construction pendant les années phares de Shanghai. Intègre à présent les éléments de confort occidental : eau, toilettes, et gaz ! Woo ! |
Guangshi Style, ou Lilong ouvrier – 1880-1940De plus en plus dense !! Les impasses deviennent très étroites (seulement un mètre parfois !), et les pièces intérieures plus petites peuvent accueillir plusieurs familles, le tout sans commodités… |
Garden Style – années 1930Répond au développement économique de Shanghai et à l’enrichissement d’une partie de sa population : rues prévues pour voitures, jardins privatifs, avec des façades de styles français, anglais ou américain. |
Apartment Lilong – années 1930Grands immeubles de cinq étages pas du tout typiques, mais toujours placés selon l’organisation des lilongs. |
Vie de quartier
Aujourd’hui, malgré la densification des shikumens au cours du temps, cela n’est pas suffisant : la pression démographique est trop importante, et j’ai vu des personnes habitant dans 4m², espace prévu à l’origine pour l’arrière cuisine sans doute. Pour s’adapter à cela, de nombreuses habitudes sont apparues, comme l’utilisation de l’espace public comme extension de sa maison : aux fenêtres, on voit parfois des lavabos là où nous mettons plutôt des fleurs : ils y accèdent depuis l’intérieur, et cela ne leur prend pas de place ! Partout nous voyons du linge sécher : devant les fenêtres sur des longues tiges de bambou, mais aussi dans la rue même, au beau milieu de celle-ci (rue qui est en fait une impasse, sans « passage »). De nombreuses activités sont entreprises dehors, sur une table qui a sa place à demeure devant la porte par exemple, attachée avec un cadenas si nécessaire.
Tout cela donne l’impression d’une vie sociale très forte dans ces quartiers : mieux vaut bien s’entendre avec ses voisins lorsque l’on fait la cuisine juste devant leur porte !
Ce qui nous frappe aussi en passant dans ces rues est la présence de nombreux objets personnels laissés dehors, sans surveillance. Chez nous, un objet dehors est un objet « à personne », qui est donc à la merci de tout le monde, voleur ou non. Ce n’est pas le cas ici apparemment ! Regardez sur la photo ci-dessus : la rue entière est remplie d’objets devant les maisons, et ce n’est pas un endroit privé ! C’est assez difficile à imaginer dans une ville en France.
Le renouveau des lilongs
Si les quartiers décrits ci-dessus sont au bord de la saturation et risquent d’être détruit pour reloger décemment tout le monde dans des grands immeubles, d’autres quartiers ont le vent en poupe : ceux des « Garden Style » notamment. Rénovés, certains quartiers attirent les personnes aisées qui souhaitent bénéficier des avantages que proposent ce genre de quartier. Le prix des loyers excluent bien sûr les anciens habitants.
Un autre style de réhabilitation des lilong est la « démolition/reconstruction », comme dans le quartier de Xintandi. Pour mieux reconstruire, tout est démoli : Plus facile ensuite de faire ce que l’on veut dans les nouveaux bâtiments. Dans le quartier de Xintandi, ce sont des commerces, bars et restaurants qui ont été ouverts. Le quartier fait un tabac, ce qui pousse sûrement des promoteur à retenter l’opération dans d’autres quartiers d’habitation.
Cela permet tout de même de préserver des architectures typiques, contrairement aux barres d’immeubles qui emplissent Shanghai.
En conclusion, si vous passez par Shanghai un jour, vous saurez que ces quartiers existent, bien cachés derrière leurs gardiens, et valent le coup d’être parcourus !